Le droit de la responsabilité civile a pour but d’indemniser le lésé du préjudice qu’il a subi. Pour que la responsabilité civile d’un médecin soit engagée et que le patient puisse être dédommagé, trois conditions cumulatives doivent être réunies :
Le préjudice se compose de deux facettes, que sont le dommage et le tort moral. Le Tribunal fédéral définit le dommage comme la diminution involontaire du patrimoine de la personne concernée. Le tort moral constitue l’ensemble des souffrances physiques ou morales que la personne subit à la suite d’une atteinte à sa personnalité. 1
Violation du devoir de diligence
La notion de violation du devoir de diligence est centrale dans le cadre de la responsabilité civile. Le médecin peut manquer à son devoir de diligence de deux manières : soit en ne respectant pas les règles de l’art médical, soit en ne recueillant pas le consentement éclairé du patient à l’acte médical. Sur l’information à donner au patient, cf. chapitre 3.2.
Selon la jurisprudence, les règles de l’art constituent des « principes établis par la science médicale, généralement reconnus et admis, communément suivis et appliqués par les praticiens ». L’étendue du devoir de diligence ne peut pas être fixée une fois pour toutes. Elle est déterminée selon des critères objectifs, en fonction des particularités de chaque cas, comme :
Ainsi, l’acte médical doit être défendable au regard de l’état général de la science médicale. 2 Le médecin répond en principe de toute faute ; sa responsabilité n’est pas limitée aux seules fautes graves 3. Concrètement, une violation du devoir de diligence peut par exemple consister en une opération effectuée en l’absence d‘indication, en un processus diagnostic incomplet ou en l’absence d’information au patient sur un risque spécifique du traitement proposé.
En revanche, la médecine étant une activité exposée à des dangers, la survenue d’un risque lié à l’acte médical (aléa thérapeutique) ou d’un risque inhérent à l’affection que présente le patient n’engage pas la responsabilité du médecin. 4
Agir avec diligence implique également pour le médecin de reconnaître quand il doit adresser le patient à un confrère ou à une autre institution de soins. Si le médecin prend en charge le traitement d’un patient alors même qu’il n’est pas en mesure de le faire en raison de ses connaissances spécialisées insuffisantes, d’un équipement déficient ou d’une incapacité physique comme la fatigue ou une maladie, l’acceptation du mandat est fautive («Übernahmeverschulden»). 5
La science médicale permet souvent au médecin de choisir entre différentes possibilités, que ce soit dans le diagnostic, le choix d’une thérapie ou la réalisation d’autres mesures ; le médecin dispose dans ces cas d’une marge d’appréciation. Par conséquent, si, a posteriori, il s’avère que la solution qu’il a choisie n’était pas objectivement la meilleure, sa responsabilité n’est pas nécessairement engagée. Pour qu’une violation du devoir de diligence soit reconnue, il faut que l’acte médical apparaisse indéfendable au regard de l’état de la science médicale en vigueur au moment du traitement. Cela vaut également si l’acte incriminé a eu de graves conséquences. 6
Il incombe au patient de prouver la violation des règles de l’art, le préjudice et le lien de causalité ; pour ce faire, il aura souvent recours à une expertise médicale, cf. ci-dessous. De son côté, le médecin doit établir qu’il a suffisamment renseigné le patient et obtenu son consentement éclairé avant l’intervention. En l’absence de consentement éclairé, l’entier de l’intervention est contraire au droit et le médecin répond des risques s’étant réalisés, même s’il a agi avec diligence ; le médecin peut toutefois se libérer de cette responsabilité en invoquant le consentement hypothétique du patient, soit en établissant que le patient aurait consenti à l’intervention concernée même s’il avait été informé de manière appropriée. 7 La question de l’information et de sa documentation est donc souvent un véritable enjeu dans le cadre de procès en responsabilité civile médicale (cf. chapitres 3.2 et 3.3).
Communication avec le patient et remise du dossier médical
Lorsqu’un patient reproche une violation du devoir de diligence à son médecin, la situation peut s’avérer émotionnellement difficile à gérer pour chacun. Une communication empathique et franche avec le patient afin de répondre à ses interrogations et de lui exposer les prochaines étapes du traitement est alors essentielle.
Le médecin fournira au patient des explications sur le déroulement du traitement sans prendre position sur la question de l’éventuelle violation du devoir de diligence. Les indications qu’il communique doivent être conformes à la réalité et ne pas induire le patient en erreur. Les polices d’assurances de responsabilité civile interdisent en général toute prise de position personnelle sur les réclamations du lésé. A cet égard, exprimer ses regrets et faire preuve d’empathie ne constituent pas un aveu de culpabilité. 8 Si nécessaire, le médecin peut recommander l’un de ses confrères au patient, auquel ce dernier pourra s’adresser s’il désire un regard médical extérieur sur la situation. Le patient peut également être dirigé vers une organisation de patients à même de procéder aux premiers éclaircissements. 9
Il est recommandé de compléter le dossier médical rapidement. D’éventuelles modifications doivent apparaître en toute transparence et il n’est pas autorisé de supprimer ou retirer certains documents du dossier médical. Si le patient le demande, le médecin doit lui fournir gratuitement une copie du dossier médical complet 10 ; cette démarche est souvent indispensable au patient pour lui permettre de reconstituer le déroulement du traitement et de rechercher des indices relatifs à une éventuelle violation du devoir de diligence. En cas de décès du patient, le médecin devra se faire délier du secret médical par l'autorité de surveillance cantonale compétente avant de transmettre la copie du dossier médical aux proches cf. chapitre 3.5).
Annonce à l’assureur
Le médecin doit aviser sans délai son assureur de responsabilité civile professionnelle d’éventuelles prétentions en dommages-intérêts dirigées contre lui, même s’il considère avoir agi avec la diligence requise. A cette fin, le médecin doit au préalable se faire délier du secret médical. 11 L’annonce d’un sinistre à l’assurance de responsabilité civile n’équivaut pas à la reconnaissance d’une violation du devoir de diligence (cf. également ci-dessous).
Délai de prescription
Depuis le 1er janvier 2020, l’action civile en cas de mort d’homme ou de lésions corporelles se prescrit par trois ans à compter du jour où le lésé a eu connaissance du dommage (délai relatif) et dans tous les cas par vingt ans à compter du jour où le fait dommageable s’est produit ou a cessé (délai absolu). 12
Responsabilité pour des actes effectués par des tiers
En principe, le médecin exécute le mandat personnellement. 13 Cependant, il est d’usage et conforme à la pratique professionnelle qu’une partie des actes de soins soit déléguée à des tiers ; l’on peut par exemple évoquer des prises de sang, l’administration de médicaments ou la réalisation de radiographies. Lorsqu’un acte médical effectué sur délégation est accompli de manière inappropriée, la question se pose de savoir dans quelle mesure le médecin délégant engage sa responsabilité civile. Il y a lieu de distinguer deux cas de figure :
Si le tiers a agi en tant qu’auxiliaire du médecin, ce dernier répond lui-même du préjudice causé au patient lésé. 14
Si le tiers a agi en tant que substitut du médecin, ce dernier ne répond que du soin avec lequel il a choisi et instruit le tiers. 15
En pratique, la distinction entre le substitut et l’auxiliaire n’est pas toujours aisée. La jurisprudence et la doctrine admettent qu’il y a substitution lorsque le tiers est appelé pour répondre à un besoin spécifique du patient et qu’il y a recours à un auxiliaire lorsque le tiers est intégré à l’organisation ordinaire du médecin. 16
Dans les établissements soumis au droit public, cette distinction n’a pas lieu d’être car l’institution ou le canton répond de manière exclusive pour les actes de ses employés.
La FMH dirige un Bureau d’expertises extrajudiciaires pour offrir aux patients et aux médecins une alternative à une procédure judiciaire en cas de litige suite à un incident médical. En effet, lorsque les conditions règlementaires sont remplies, un expert médical détermine si, dans la situation concrète, un traitement s’est déroulé conformément aux règles de l’art. Si cela n’est pas le cas, l’expert évalue également si la violation du devoir de diligence constatée a causé un dommage à la santé. En éclaircissant les faits médicaux, l’expertise fournit aux parties une base de discussion solide. Les membres de la FMH ont l’obligation de se soumettre à une procédure du Bureau d’expertises. 17
Les parties peuvent choisir entre une expertise écrite et une expertise orale (dénommée « expertise conjointe de la FMH »), selon une procédure règlementée et transparente. 18 Lors d’expertises conjointes de la FMH, l’expert évalue les questions litigieuses à l’occasion d’une table ronde, qui réunit toutes les parties. L’expertise orale offre l’avantage de prendre en compte l’aspect émotionnel de la situation et d’améliorer la compréhension entre la médecine et le droit, puisque les parties peuvent participer activement à la discussion. 19
Les assurances de responsabilité civile professionnelle des médecins ou de l’hôpital mis en cause s’acquittant en principe des honoraires de l’expert (cf. également ci-dessous), les coûts à la charge du patient sont limités. L’expert est proposé, ou à tout le moins confirmé, par la société de discipline médicale concernée puis accepté par les parties. Il est guidé dans la rédaction de son expertise par un schéma et son projet d’expertise est contrôlé par le Service juridique, afin de s’assurer que l’expertise est claire, complète et concluante. De manière générale, les tribunaux admettent la haute valeur probante des expertises extrajudiciaires de la FMH. 20
La FMH ne jouit pas d’un monopole en matière d’organisation d’expertises; les parties sont libres de faire établir elles-mêmes une expertise extrajudiciaire privée, en cherchant et mandatant un expert par leurs propres moyens. Les modalités du mandat seront alors à convenir entre les parties.
Les médecins exerçant sous leur propre responsabilité professionnelle doivent conclure une assurance responsabilité civile professionnelle offrant une couverture adaptée à la nature et à l’étendue des risques liés à leur activité. Cette obligation découle de la loi fédérale sur les professions médicales universitaires 21 et, dans la plupart des cantons, le médecin devra démontrer sa couverture d’assurance lorsqu’il requiert l’autorisation d’exercer à titre indépendant. Le Code de déontologie de la FMH exige lui aussi une assurance suffisante contre les prétentions découlant de la responsabilité professionnelle. 22 Ainsi, tout médecin exerçant sans assurance responsabilité civile contrevient à ses obligations professionnelles et prend un risque financier important s’il devait être amené à indemniser un patient atteint dans sa santé en raison d’une violation du devoir de diligence. De plus, une insolvabilité partielle ou totale du médecin aurait pour conséquence inéquitable de diminuer ou supprimer les chances du patient lésé d’obtenir la réparation de son dommage.
L’assurance responsabilité civile professionnelle joue un double rôle :
Dès lors, il y a lieu d’annoncer sans délai un éventuel sinistre à l’assureur de responsabilité civile; les conditions générales d’assurance prévoient d’ailleurs généralement une obligation de déclaration correspondante. Un non-respect de cette obligation peut entraîner une diminution ou une suppression des prestations d’assurance.
En principe, sont assurés tous les risques qui ne sont pas expressément exclus par les conditions générales de la police d’assurance. La FMH recommande à ses membres de vérifier régulièrement leur couverture d’assurance responsabilité civile. Il convient en particulier d’être attentif aux éléments suivants :
Enfin, en vertu d’un « gentlemen’s agreement » conclu entre la FMH et l’Association suisse d’assurances (ASA), les assurances de responsabilité civile membres de l’ASA doivent s’acquitter sans réserve des honoraires des experts mandatés dans le cadre d’une procédure du Bureau d’expertises extrajudiciaires de la FMH. Il est donc recommandé de vérifier également que l’assureur soit membre de l’ASA. 26
Le droit pénal a pour but de garantir la paix sociale en sanctionnant les infractions réprimées par la loi 27. La responsabilité pénale d’un médecin ne peut donc être retenue que si celui-ci a réalisé une infraction définie dans une loi. 28 Dans le cadre de l’exercice de la médecine, différentes infractions peuvent être commises, dont quelques-unes sont énumérées ici :
Une condamnation pénale suite à un incident médical suppose que l’auteur soit responsable du dommage en raison de la violation d’un devoir de prudence. De manière analogue au droit civil, la violation du devoir de diligence est donc également la condition-clé d’une éventuelle condamnation pénale du professionnel de la santé. 33
L’intérêt des procédures pénales pour les patients concernés ou leurs proches est limité. En effet, la procédure pénale est dirigée par le ministère public et vise en premier lieu à sanctionner une éventuelle infraction ; les patients ou leurs proches n’ont donc qu’une influence restreinte sur son déroulement. Toutefois, ceux-ci peuvent faire valoir des conclusions civiles déduites de l’infraction par adhésion à la procédure pénale. 34
Il est conseillé au médecin prévenu de mandater un avocat pour sauvegarder ses intérêts. Cela est également recommandé au médecin hospitalier, même si l’hôpital fait lui-même appel à un avocat externe. En effet, les intérêts du médecin et ceux de l’hôpital peuvent diverger.
Brochure conjointe de la FMH, l’ASA, H+, l’OSP et autres associations « Communication entre médecin et patient – Recommandation en cas d’incident médical », disponible sur le site internet du Bureau d’expertises extrajudiciaires de la FMH.
On peut citer notamment l’Organisation suisse des patients et la Fédération suisse des patients. La possibilité de recevoir des conseils selon l'OFSP. Lien.
Art. 28 de la loi fédérale sur la protection des données et dispositions des lois sanitaires cantonales.
Au mieux, le médecin sera délié du secret médical par le patient. Si cela n’est pas possible, il s’adressera à l’autorité de levée du secret prévue par l’art. 321 ch. 2 du Code pénal (CP).
Sabrina Burgat et Olivier Guillod : « La responsabilité médicale au regard de la collaboration entre les professionnels de la santé », 2015.
Cf. à ce sujet l’article de Valérie Rothhardt, Caroline Hartmann, L’expertise conjointe de la FMH, BMS 2024;105(19-20):24-26. = No 19-20, 2024. Archives-BMS.
Arrêt du Tribunal administratif du canton de Berne 100.2016.2U du 27 février 2018, consid. 4.2.1. ; arrêt du Tribunal fédéral 4A_18/2015 du 22 septembre 2015, consid. 3.1.
Cf. à ce sujet l’article de Max Giger et Reinhard Kunz « Les polices et les conventions sont-elles adaptées aux exigences actuelles ? », BMS 2011 ; 92 :20, p. 741 à 743.
Les remplaçants intervenant dans le cabinet du médecin assuré (p.ex. en cas de vacances ou de maladie) sont en principe couverts par la police de base.
L’art. 128a du Code des obligations porte à vingt ans le délai de prescription absolu en cas de dommages corporels et de décès depuis le 1er janvier 2020. Cf. Ursina Pally Hofmann, Nouveau droit de prescription, BMS 2018;99 (51-52):1825.
Selon l’art. 1 du Code pénal, une peine ou une mesure ne peuvent être prononcées qu’en raison d’un acte expressément réprimé par la loi.
Sabrina Burgat et Olivier Guillod : « La responsabilité médicale au regard de la collaboration entre les professionnels de la santé », 2015.
Dernière mise à jour le
22.04.2025
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