Le 4 décembre 2000, à l’alinéa 3 de sa résolution 55/89, l’Assemblée générale de l’ONU a recommandé aux gouvernements le Protocole d’Istanbul en tant qu’instrument utile pour la lutte contre la torture. Ce « manuel pour enquêter efficacement sur la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants » a été rédigé dans les années 90 à l’initiative de l’Union des médecins de Turquie, de la Fondation turque des droits humains et du groupement Physicians for Human Rights, et publié en 1999 sous le titre de « Protocole d’Istanbul ».
En Suisse, une interpellation pour la reconnaissance du Protocole d’Istanbul a été classée car le conseil n’avait pas achevé son examen dans un délai de de deux ans 1 . Une deuxième interpellation a subi le même sort 2 .
Le Protocole d’Istanbul n’est pas un accord relevant du droit international, mais un manuel. Il établit des normes pour les enquêtes sur les cas de torture et définit des méthodes pour interroger les victimes. Parallèlement, il vise à sensibiliser les professionnels sur la manière d’approcher les personnes concernées. Il peut ainsi constituer un instrument important pour le traitement, l’interrogatoire et l’expertise de personnes qui font état d’expériences de torture, par exemple dans le cadre d’une procédure d’asile.
Si, en tant que « soft law », cet instrument n’a pas d’effet juridiquement contraignant, il peut cependant être mis en œuvre dans le système juridique national et être intégré à la pratique 3 . Le Tribunal administratif fédéral (TAF) a par exemple déjà utilisé le Protocole d’Istanbul comme source fondant une marche à suivre pour établir la crédibilité de déclarations dans divers arrêts. Dans un arrêt du 30 décembre 2020, il a reconnu la grande valeur probante des lignes directrices du Protocole d’Istanbul en matière d’expertise. Le TAF considère qu’il faut reconnaître aux « expertises établies en conformité avec les standards du Protocole d’Istanbul, […] une valeur scientifique accrue » (traduction libre de l’arrêt du TAF D-4802/2020 consid. 4.1) et reproche au Secrétariat d’État aux migrations (SEM) d’avoir refusé un rapport médical sans motivation suffisante.
Les médecins traitants sollicités par les requérants dans le cadre de procédures d’asile pour rédiger un rapport à l’intention du SEM ou (en cas de recours) du TAF afin de clarifier la situation médicale en vue de la reconnaissance du statut de réfugié doivent utiliser le formulaire officiel. Ce formulaire peut être téléchargé sur le site du SEM 4 .
Lorsque les médecins agissent sur mandat des patients, on peut partir du principe que leur consentement à la transmission des données médicales a été donné. Il en va autrement lorsque les médecins transmettent des données médicales à la demande des autorités (canton, SEM). Pour cela, le consentement de la personne concernée est nécessaire. Si cela n’est pas possible, il est recommandé de demander la levée du secret médical. La situation est différente lorsque les médecins recueillent et transmettent des données médicales en qualité d’experts, sur mandat des autorités. Dans ce cas, les résultats d’examen ne sont pas soumis au secret médical. La personne concernée doit en être clairement informée dans le cadre de la procédure d’asile ou de l’exécution des mesures 5 .
Remarque : ne pas confondre le « Protocole d’Istanbul » avec la « Convention d’Istanbul » 6 .
Dans le cadre des expulsions sous contrainte, les médecins peuvent être amenés à transmettre des données médicales afin d’évaluer l’aptitude au transport des personnes concernées. Les médecins traitants sont ainsi légalement tenus de transmettre les données médicales à leur disposition au moment où la demande leur parvient et qui sont nécessaires pour évaluer si la personne concernée est apte à être transportée 7 . Les évaluations à proprement parler ne sont pas réalisées par les médecins traitants, mais par les médecins mandatés par le SEM pour assurer la surveillance médicale en vue de l’exécution d’un renvoi ou d’une expulsion.
Pour les médecins, participer à des expulsions est un sujet sensible qui les confronte aux questions d’éthique. Les directives de l’Académie suisse des sciences médicales (ASSM) « Exercice de la médecine auprès de personnes détenues », qui font également partie du Code de déontologie de la FMH, abordent ces questions de manière détaillée et proposent des orientations 8 .
Ces dernières années, diverses incertitudes sont apparues concernant l'évaluation des contre-indications médicales lors d’un rapatriement 9 . Les acteurs impliqués (Confédération, cantons, organisations médicales) ont notamment eu des interprétations différentes des questions liées à l’obligation, pour les médecins traitants, de procéder à des examens spécifiques en vue de déterminer si les patients concernés étaient « aptes à prendre l’avion » (« fit to fly ») ainsi qu’à la possibilité de transmettre des données médicales sans l’accord des patients ni levée du secret médical ? 10
Sur le plan juridique, l’art. 71b de la loi sur les étrangers et l’intégration (LEI) et les dispositions de l’ordonnance correspondante (ordonnance sur l’exécution du renvoi et de l’expulsion d’étrangers, OERE) sont déterminants. Les art. 15p et 15q de l’OERE ont permis de clarifier certaines questions.
Les médecins traitants demandent aux personnes concernées leur consentement pour la transmission des données. Il est indispensable de le leur demander et de les renseigner sur la suite de la procédure en toute transparence afin de préserver la relation de confiance patient-médecin. Lorsque les patients donnent leur accord, ce qui est généralement le cas si le diagnostic s’oppose à l’exécution du renvoi, le secret médical n’empêche plus la transmission des données. Le consentement doit cependant être donné librement et sans pression – et se référer aux données de santé du moment ; c’est pourquoi, par exemple, le consentement global donné aux autorités dans le contexte d’une demande d’asile (et qui arrive souvent dans les mains des médecins traitants) n’a aucune valeur au regard de la jurisprudence relative au secret médical 11 .
Des divergences ont toutefois perduré entre les organisations médicales et les autorités fédérales et cantonales sur la question de savoir comment les médecins traitants devaient procéder lorsque les personnes susceptibles d’être renvoyées refusaient de donner leur consentement à la transmission de leurs données, alors que médicalement, cela serait dans leur intérêt.
Le consensus qui prévaut actuellement prévoit la démarche suivante : 12 du point de vue des représentants du corps médical, le secret médical (art. 321 CP) doit être respecté également lors des renvois. En l’absence de consentement, la FMH, l’ASSM et la CMPS recommandent vivement de demander la levée formelle du secret médical avant toute transmission de données 13 . Cette procédure est également décrite à l’annexe G des directives de l’ASSM « Exercice de la médecine auprès de personnes détenues » 14 .
Un formulaire élaboré par les autorités en collaboration avec la FMH, l’ASSM et la CMPS est à disposition pour la transmission des données médicales pertinentes pour le renvoi. Il s’adresse à tous les médecins traitants dont les patientes et les patients font face à une décision de renvoi entrée en force (expulsion sous contrainte, notamment) et qui, de ce fait, sont confrontés à une demande des autorités de leur transmettre des données médicales pour décider de l’aptitude au transport. Le formulaire « Rapport dans le domaine du retour/exécution du renvoi » est disponible à l’adresse www.samw.ch/contre-indications. Il contient des indications précises sur ce qui doit être déclaré à qui et sur la question du secret médical.
Interpellation 17.3193 du 16 mars 2017 de Balthasar Glättli, Reconnaissance du Protocole d’Istanbul par la Confédération.
Interpellation 18.3697 du 25 juin 2018 de Balthasar Glättli, Respect du Protocole d’Istanbul pour que la Confédération puisse enquêter efficacement sur les cas de torture?
Site www.humanrights.ch → Plateforme d’information → Les fondamentaux → Sources juridiques → ONU à Protocole d’Istanbul. Lien.
Cf. « Exercice de la médecine auprès de personnes détenues » directives médico-éthiques de l'ASSM (2002, adaptées 2012, annexe lit. G insérée 2015, annexe lit. H insérée 2018). Lien.
www.ebg.admin.ch → Violence à l’égard des femmes et domestique → Convention d’Istanbul. Lien.
Cf. art. 71b LEI en relation avec l’art. 15p OERE. Cf. explications sur l’art. 71b LEI dans le Message concernant la modification de la loi sur l’asile, FF 2014 7771.
Cf. chapitre 6 et en particulier l’annexe D « Missions du médecin dans un établissement d’exécution des mesures » in: « Exercice de la médecine auprès de personnes détenues ». Directives médico-éthiques de l’ASSM (2002, actualisées 2012, annexe lit. G insérée, annexe lit. H insérée 2018). Lien.
Pour un bref état des lieux de la situation cf. ASSM, Comité central de la FMH et CMPS in: BMS. 2022;103(25/26):845-848, ci-après « BMS procédures de renvoi 2022 ».
Cf. « Exercice de la médecine auprès de personnes détenues ». Directives médico-éthiques (2002, actualisées 2012, annexe lit. G insérée 2015, annexe lit. H insérée 2018. Lien.
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